SARA-Mon histoire vraie (1)

J’ai demandé à Sara de me raconter une histoire en détail. Je ne sais pas pourquoi. Je lui ai dit une histoire fondatrice pour toi, selon toi. Avec tes mots, les tiens. Une histoire qui raconterait ce que tu es devenue maintenant, depuis que l’on s’est perdus. À ce moment là, cette histoire m’a attrapé.

SARA raconte un début ou une enfance. Des retrouvailles d’amitiés. Là où règne encore un certain amusement aveugle, gouverné par les rires tragiques. C’est l’histoire de Sara, la copine d’enfance. L’insouciance, les amis, les amours adolescentes, une histoire où l’on est bourreaux et victimes, où plus tard on a fait le choix de cruauté et de légèreté.

Ludovic Chazaud signe un va-et-vient palpitant entre son histoire avec Sara et son imaginaire. On plonge alors dans un trépidant récit à trois voix, qui nous emmène tour à tour dans l’enfance, dans l’intime, puis le présent, l’âge où l’on devient parent.

Sara est une amie d’enfance.
Une amie dont j’étais amoureux. Je l’ai retrouvé à l’âge de 31 ans.
Nous avons commencé à nous raconter des choses.
À l’adolescence, Sara avait dans sa classe une camarade rejetée.
Une fille devenue la risée de la classe.
Sara se moquait aussi.
Sara et ses camarades lui ont fait croire que l’un des garçons de la classe était amoureux d’elle. Ce garçon était le petit ami de Sara.
La fable de Sara nous raconte l’escalade du mensonge, de l’aveuglement, d’une violence. Escalade qui pourra conduire au drame.

La compagnie Jeanne Föhn réalise ici un spectacle comme une réflexion sur le réel du plateau. Il s’agit d’une histoire entre documentaire et fiction, entre biographie et théâtre qui s’appuie sur des photos, des entretiens mais surtout sur le récit d’évènements vécus et d’autre fantasmés. Il s’agit d’une réflexion portée au plateau sur la manière de récolter des souvenirs, de s’en servir. Une réflexion sur la façon subjective que l’on a de regarder un événement, de se l’approprier ou de s’en éloigner. La fable de Sara commence avec ce mensonge d’ado, il fait s’emblant d’aimer, il s’ensuit un labyrinthe de regards sur le monde où plus personne ne peut savoir ce qui est vrais.

Le spectacle est relecture des réalités avec violence, tendresse et humour. Une relecture où l’imagination gouverne le réel mais où le réel est roi. Affirmer et jouer de la présence. Reproduire. Redire. Refaire. Rejouer.
Lorsqu’un être est sur scène, dans la rencontre avec le public, il n’y a rien de plus réel. C’est une rencontre, un rendez-vous en chair et en os, un échange. Cependant la scène se drape dans un manteau de fiction pour s’emparer de la cruauté. C’est de ce frottement qu’est né une partie du théâtre documentaire : pourquoi plonger dans la fiction quand la cruauté nous entoure ? Quand le monde témoigne de drames aussi forts que les drames du théâtre?

Les « témoins du réel » ont donc fait leurs apparitions sur les plateaux, ils ont retransmis leurs drames. C’est une belle démarche qui a sa justesse dans notre monde où les tragédies ont tendance à nous toucher que si elles sont proches. S’impliquer comme passeur de l’histoire devient une mission du théâtre. Devenir celui qui a connu, qui a rencontré et su. Aller à l’encontre du privilège de l’authenticité et de la sincérité, deux termes qui deviennent pour nous des outils déclencheurs de fable, de drame. Deux termes qui servent de clefs pour déverrouiller chez le spectateur la perception de la fiction et retourner sur le seuil de la présence réelle. Car il nous reste encore à affirmer le plateau comme l’endroit du jeu, de la fiction, l’endroit où le drame se joue en présence, et cette présence affirme déjà le réel.

La galerie des effets de réel

Le public pourra découvrir une installation, sorte de galerie de pièces à conviction – préambule au spectacle – dans les Foyer des théâtres. Ou dans de petits livrets distribué à l’entré des salles.

J’avais envie créer un processus de remémoration pour le public comme pour les acteurs de la création.

Lors de l’écriture de ce texte, je me suis rendu compte à quel point je mettais ma mémoire en marche pour retrouver les instants partagés avec Sara. Cette mémoire me donnait à voir des détails à la fois cruciaux, faisant avancer la narration, ainsi que des points complétement anodins comme le « Monster Munch » qui trainait sous la table au moment où Sara me racontait son souvenir avec Magalie. J’ai trouvé aussi important, amusant, de rendre au texte ces zooms que fait la mémoire entre détails et faits cruciaux.

Plus tard, j’ai lu le texte de Roland Barthe sur les effets de réel. Je retrouvais, dans ce principe d’auteur de fiction, quelque chose qui se passait dans mon texte avec ces zooms.  Alors, lorsque que j’ai dû conduire le texte dans des moments où régnait davantage la fiction, j’ai poursuivi ce travail de zooms en les construisant avec mon imaginaire. Tentant de recréer pour l’auditeur ce phénomène qui se produisait pour moi au moment de mes remémorations d’écriture.

Par la suite, il m’a plu de tenter le pari en investissant tout un espace que propose le théâtre pour le transformer en machine de remémoration. Proposant aux spectateurs, dans un premier temps, une immersion complète dans les effets de réel que nous allons raconter sur le plateau, leur donnant à chacun la possibilité de construire la même mémoire visuelle que celle qui m’a servi à produire le texte, je tente le coup de construire une mémoire collective immédiate. Le théâtre est un lieu de l’imaginaire solitaire et collectif où nous embarquons un public pour un voyage aux mêmes sensations où chaque individu est armé de ses images personnelles qui combleront les lacunes des mots.

Nous souhaitions créer ce prélude à l’histoire ; une galerie des effets de réels.

Il s’agissait de proposer un cocon de mémoire, comme si le public était invité à rentrer puis sortir du spectacle en passant par le tunnel de ma mémoire. Proposant au public des certitudes, lui offrant des images du « ça s’est vraiment passé comme ça », essayant ainsi toujours de rapprocher l’histoire plus près des yeux pour que le public se la colle plus près du cœur.

 

texte et mise en scène: Ludovic Chazaud

collaboration artistique: Aline Papin

avec: Céline Nidegger, Mathias Glayre, Ludovic Chazaud

création son et musiques: Alexis Gfeller – Cédric Simon

création lumières: Joana Oliveira

création costumes: Olga Kondrachina

scénographie et construction: L’illustre atelier – Serge Perret

administration: Maria Da Silva

coproduction : Petithéâtre de Sion | Théâtre La Grange de Dorigny-UNIL

soutien : Ville de Lausanne | Canton de Vaud | Pourcent culturel Migros | Loterie Romande

crédit photo: Dorothée Thébert

 

 

  • Février 2018 La Grange de Dorigny/Lausanne